- TAKANOBU (FUJIWARA)
- TAKANOBU (FUJIWARA)Au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, les membres de la famille des Fujiwara, bien qu’ayant perdu tout pouvoir politique, conservèrent leurs titres honorifiques et continuèrent à jouer un rôle important à la cour. Les uns participaient au cérémonial impérial, d’autres se signalaient par leur talent de poète, de calligraphe, de musicien ou de peintre. En 1173, l’empereur retiré Go-Shirakawa, fondant le sanctuaire de Saish 拏ko-in pour répondre au vœu de son épouse, chargea le peintre Tokiwa Mitsunaga d’évoquer dans le décor des portes à glissières les pèlerinages accomplis durant son règne par lui-même ou par l’impératrice; mais il confia à Fujiwara Takanobu le soin de tracer les visages des membres de sa suite, à l’exception des plus hauts dignitaires. Ce fait est rapporté dans son journal par Fujiwara Kanezane (1147-1207), alors jeune ministre, qui se réjouit, n’ayant pas pris part à ces visites impériales, de n’être pas représenté dans ces peintures.Naissance du portrait à la courLe Saish 拏ko-in ayant disparu, il est difficile de définir l’art de Takanobu et d’imaginer les raisons qui firent se réjouir Kanezane d’avoir échappé à son pinceau. Le professeur Akamatsu Toshihide estime que la répugnance des nobles de la cour à se faire portraiturer provenait de la crainte superstitieuse de voir leur image utilisée à des fins magiques.Ce souci pourrait expliquer l’usage du hikime kagihana (un trait pour les yeux, un crochet pour le nez) dans la représentation des personnages aristocratiques des rouleaux du Genji monogatari et des peintures du même style, dit tsukuri-e .Il semble que, dans la seconde moitié du XIIe siècle, ces réticences se soient peu à peu atténuées, faisant place à un intérêt marqué pour la recherche expressive du visage humain. Cette tendance apparaît dans deux œuvres de l’époque.Dans le Shigisan engi , une large place est faite aux traits individualisés des paysans, qui jouent dans cette peinture le rôle principal, tandis que ceux des envoyés impériaux participant à l’action restent fidèles au tsukuri-e. Au contraire, dans le Ban Dainagon e-kotoba , rouleaux qui firent partie de la collection de Go-Shirakawa, non seulement la foule des rues de la capitale mais les femmes des hauts dignitaires sont représentées d’une façon presque caricaturale.Est-ce dans cette recherche expressive que se distinguait Fujiwara Takanobu?Un artiste aristocratiquePoète de talent, demi-frère par sa mère de Sadaie (Teika), poète et critique célèbre, Takanobu avait peut-être hérité de sa mère ses dons de peintre. Celle-ci, après avoir été dame d’honneur d’une impératrice, se retira dans un monastère et, pour rendre hommage à la mémoire de Murasaki Shikibu, copia le s tra de Lotus (Hokke ky 拏 ), ornant chacun des rouleaux d’une peinture qui illustre un épisode du Genji. Certes, le nouveau souci de rendre l’expression humaine peut s’expliquer par la simple curiosité d’une aristocratie désœuvrée pour les gens du commun, curiosité attestée par la venue à la cour de danseurs rustiques et par la représentation du peuple de la capitale dans le Nenj gy 拏ji e-maki de Tokiwa Mitsunaga. Mais on pourrait également tenir compte d’une recherche psychologique plus profonde, qui prit naissance avec les critiques poétiques de Fujiwara Toshinari et de son fils Teika, demi-frère de Takanobu.Cet intérêt nouveau pourrait être à l’origine du portrait, qui fait alors son apparition et qui se perpétuera jusqu’à la sixième génération dans la lignée de Takanobu.Une tradition remontant au XIVe siècle attribue à l’artiste trois portraits peints sur soie du Jing 拏-ji de Ky 拏to. Ces peintures monumentales seraient les portraits posthumes de Taira no Shigemori (1138-1179), Minamoto Yoritomo (1147-1199), fondateur du bakufu de Kamakura, et de Fujiwara Mitsuyoshi (1132-1183), exécutés pour entourer les effigies de Go-Shirakawa et d’un de ses familiers dans le Sent 拏-in, que l’empereur avait fait ériger dans l’enceinte du Jing 拏-ji en 1189, peu de temps avant sa mort (1192). Ces représentations de très hauts personnages sont, pour cette date, exceptionnelles et certains les estiment d’une époque plus tardive. La composition triangulaire due au costume de cour empesé et à la haute coiffure évoque, en effet, certaines sculptures du XIVe siècle, tel le portrait d’Uesugi Shigefusa. Les visages sont finement cernés et les regards d’une acuité surprenante. Ces portraits auraient-ils été peints d’après des croquis effectués par Takanobu?L’existence de tels croquis est attestée par l’esquisse représentant le ministre Okanoya Kanetsuge (1200-1259), en vêtement de moine, exécutée après 1257 et dans laquelle le visage, dessiné par une multiplication de petits traits, a été collé sur un papier où fut ensuite dessiné le corps (K 拏zan-ji, Ky 拏to). Ce procédé est encore utilisé par les peintres traditionnels japonais, qui devant leur modèle multiplient les croquis jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à trouver l’expression qui puisse les satisfaire. Le plus achevé de ces essais est ensuite décalqué ou collé sur la composition finale.Selon le professeur Akiyama Terukazu, cette accumulation de petits traits pour la construction des visages pourrait déjà être observée dans certains personnages de rang inférieur du Genji monogatari e-kotoba , remontant aux années 1120-1130.Le nise-eÀ la fin du XIIe siècle, cette technique est appelée nise-e , «portrait à la ressemblance». Cette expression apparaît pour la première fois dans un texte concernant Fujiwara Nobuzane (1176-1268), fils de Takanobu.En 1221, l’empereur Go-Toba, contraint à s’exiler après avoir participé à des intrigues politiques, demanda, avant son départ, que l’on fît venir Nobuzane pour qu’il fasse son portrait à la ressemblance, afin de le laisser en souvenir à sa mère. Celle-ci l’aurait ensuite offert au Minase-jingu (près d’ 牢saka) où il est conservé. Le malheureux empereur y est représenté en costume familier, coiffé de l’e-boshi , le haut bonnet de cour traditionnel.On attribue aussi à Nobuzane le Zuijin teiki e-maki , rouleau représentant la garde impériale à cheval, ainsi que la réunion de poètes au palais impérial (Ch den go-e z ), dont une copie de l’époque Muromachi a subsisté. Dans ces croquis à l’encre, non seulement les visages mais les attitudes et même les animaux trahissent une recherche d’individualisation.Un thème qui devait connaître une grande fortune à travers les siècles serait également dû à Nobuzane ou à son école, c’est celui des Trente-six Poètes (Sanj rokkasen ). Au Xe siècle, trente-six poètes parmi les plus fameux avaient été désignés; au début du XIIe siècle, une anthologie de leurs œuvres avait été copiée par les meilleurs calligraphes de la cour sur des cahiers magnifiquement décorés à l’intention d’un empereur (Sanj rokunin sh , au Nishi-Hongan-ji de Ky 拏to).La transformation de ce thème par la représentation sur un rouleau de chacun des poètes assis, accompagné de la calligraphie d’un de ses poèmes les plus représentatifs, est significative du changement d’attitude de la cour à l’égard du portrait. Certes il s’agit de portraits imaginaires, mais on remarque dans ces exercices de style la volonté de rendre, par l’expression et par l’attitude, la vie intérieure de l’artiste telle qu’elle ressortait de l’analyse critique très fine de Teika. Le Sadake-hon (exemplaire de la collection Sadake) et le Agedatami-hon (dans lequel les poètes sont assis sur des tatami ) sont les plus anciens exemples du genre.Si les noms de la lignée de Takanobu ont été conservés, les œuvres qui subsistent, anonymes le plus souvent, ne permettent pas de caractériser chacun d’entre eux.Cependant, le portrait de Shinran (1173-1262), le fondateur de la secte amidiste Shin, fut exécuté de son vivant par son disciple Sen-ami, l’un des fils de Nobuzane. Dans ce fameux Kagami no miei (portrait comme dans un miroir), le visage en lignes fines de Shinran se détache au-dessus de la robe de moine notée par quelques traits vigoureux. Cette esquisse a servi de modèle à de nombreux portraits plus achevés.En 1338, G 拏shin, arrière-petit-fils de Nobuzane, traça l’image de l’empereur Hanazono, en vêtement de moine, et y exprima l’affection qu’il portait à son souverain dont il était le confident (Ch 拏fuku-ji, Ky 拏to). Cette œuvre émouvante et sensible pourrait marquer la fin du nise-e .En fait, en dépit de l’influence des portraits de moines zen à la mode chinoise, très répandus dès l’époque Muromachi, le portrait à la ressemblance subsista dans les effigies officielles de Sessh T 拏y 拏 lui-même (portrait de Masuda Kanetaka, 1474) et des peintres de l’école Kan 拏.
Encyclopédie Universelle. 2012.